Les femmes dans la Résistance
Les femmes entrent tôt en Résistance,
surtout dans le Nord, premier territoire touché par l’invasion allemande. Elles
y sont même, au départ, majoritaires (en 1940, 23% des femmes du
Nord-Pas-de-Calais sont résistantes, contre 13% des hommes). Cette région est,
en effet, rattachée au commandement de Bruxelles et ce dernier est géré par un
responsable possédant les pleins pouvoirs sur sa juridiction, Vichy
n’intervenant pas dans cette partie du pays. La violence et la lourde présence
de l’occupant incitent donc à un engagement très précoce.
La répression y est, par conséquent,
aussi très dure. Le 17 septembre 1940, Blanche Paugan est condamnée à mort pour
avoir coupé les lignes téléphoniques allemandes. Même si la sentence n’est pas
exécutée, elle montre la volonté de rigueur des Allemands.
Les motivations incitant les femmes à
intégrer la Résistance sont les mêmes que celles des hommes : refus de
l’Occupation ; refus de l’armistice et donc de la défaite ; refus des
mesures antisémites, restrictives et répressives. On agit aussi pour rendre
service à un proche, une personne que l’on aime, un voisin, un collègue…
Cependant, contrairement aux hommes, les femmes entrent rarement en Résistance
par conviction politique (n’oublions pas qu’elles en sont exclues, puisqu’elles
ne sont encore ni éligibles, ni électrices). Même au sein du Parti Communiste,
pourtant véritable vivier de Résistantes, elles restent au final assez peu
nombreuses. Il est important par ailleurs de rappeler ici que la Résistance est
un mouvement évidemment illégal, donc clandestin, induisant de nombreux
risques. Les femmes y sont tout autant confrontées que les hommes. Les motivations
doivent donc être profondes, l’engagement ne jamais se faire à la légère.
Comment intègrent-elles les différents
réseaux ? La plupart des femmes s’enrôlent par l’intermédiaire de connaissances
diverses, qu’elles soient issues de leur cercle familial, amical, associatif ou
professionnel. Il est nécessaire de souligner dès à présent que l’engagement
féminin au sein de la Résistance est avant tout une affaire de
« quotidien ».
En effet, comme nous l’avons évoqué, la
Résistance est secrète. Elle doit se cacher, rester discrète. Et quel endroit
est le plus opportun pour protéger et assurer cette clandestinité ? Le
foyer. Le domicile familial, sphère privée, est effectivement un des points
névralgiques de l’organisation. Or, la femme est le centre de ce monde
domestique. Elle se retrouve par conséquent impliquée, voire en est parfois
l’initiatrice, dans de nombreux actes d’opposition à l’ennemi. Elle héberge
(donc nourrit, habille et cache) et peut faire passer des clandestins en zone
libre, que ces derniers soient Résistants, Juifs ou encore des aviateurs
alliés ; elle cache des documents au sein de sa maison ; elle
ravitaille les maquis alentours… Cette facette de la Résistance féminine est
prépondérante en milieu rural, où les types d’actions cités sont facilités, la
présence allemande étant moins pesante que dans les villes et la campagne
offrant de nombreux lieux abrités et plus de nourriture.
Tous ces gestes résistants se font sous
couvert d’une vie quotidienne banale. On fait passer tel enfant juif pour un
neveu ou une nièce ; on cache tel document sous les couvertures du landau
du bébé ; on profite d’un déplacement à pied ou en vélo pour aller porter
un courrier important ou des vivres à un réseau caché dans les bois… Les femmes
suscitent beaucoup moins la méfiance des Allemands que les hommes. Elles sont
donc des maillons essentiels de la Résistance dite « de tous les
jours ».
C’est justement parce que la suspicion
envers les femmes est très limitée que les sphères d’action féminines se
multiplient et se diversifient. En plus de cacher, de ravitailler et
d’héberger, elles peuvent aussi distribuer et participer à la rédaction de
tracts et de journaux clandestins, fabriquer de faux-papiers… On trouve de
nombreuses femmes, travaillant dans l’administration, qui utilisent leur
fonction de secrétaire pour créer des documents factices (état civil, papiers
d’identité etc.) ou fournir des tickets de rationnements injustifiés. Le
domaine des communications n’est pas en reste non plus : pendant toute
l’Occupation, pas moins de 224 postières, téléphonistes et télégraphistes
anonymes ont intercepté des messages allemands ainsi que des lettres de
dénonciations de Juifs et de Résistants, sauvant ainsi des vies. Cette résistance
du quotidien, anonyme et floue, difficilement quantifiable, est déterminante
pour la Résistante dite, elle, « organisée et officielle »,
c’est-à-dire armée. Elle lui permet, au jour le jour, de survivre et de se
concentrer sur ses projets de grande ampleur.
D’autres femmes, par ailleurs, se retrouvent
agents secrets, dans les réseaux de renseignements ou dans l’organisation de
filières d’évasion, dont elles sont parfois à la tête. C’est le cas de
Marie-Louise Dissard du réseau Françoise, situé à Toulouse. Au
départ, l’action de cette résistante de la première heure se borne à cacher et
transmettre des documents importants, comme de nombreuses femmes le font déjà.
Puis, en 1942, elle intègre le réseau d’évasion Pat O’Leary,
spécialisé dans le sauvetage des aviateurs anglais et américains tombés sur le
sol français, pour lequel elle commande la région toulousaine. Sa mission est
de les héberger et les aider à rejoindre l’Angleterre. En 1943, suite à
l’arrestation d’Albert Guérisse, chef de la filière tous secteurs géographiques
confondus, Marie-Louise Dissard le remplace. Elle renomme le réseau, qui
devient le réseau Françoise, et ne sauvera pas moins, au
total, de 700 aviateurs alliés.
On le voit, certaines femmes parviennent
à atteindre de hautes fonctions. Dans le domaine précis de l’opposition armée,
elles sont très peu nombreuses. En effet, depuis toujours, la guerre est une
affaire d’hommes. Même si la Résistance offre un domaine d’action inédit aux
femmes, il n’en demeure pas moins que certaines portes leur restent fermées, ou
durement accessibles. Les années 40 restent ancrées, malgré le contexte, dans
un schéma culturel et social traditionnel : l’homme est le chef de famille
travaillant à l’extérieur ; la femme, dépendante de ce dernier, reste au
foyer et sans droit de vote.
On trouve pourtant quelques figures
féminines à la tête de mouvements armés ou qui leur sont liés. Ainsi , Claude
Gérard, responsable des maquis dans sept départements du Sud-Ouest de la
France, ou encore Marie-Madeleine Fourcade, à la tête du réseau Alliance. En
1941, cette dernière succède à Georges Loustaunau-Lacau, qui vient d’être
arrêté. Dépendant de l’Intelligence Service britannique, Alliance est
avant tout un réseau de renseignements déterminant pour l’organisation armée
basée à Londres. Il compte aussi plus de 25% de femmes sur les 3000 membres qui
le composent.
En dehors des actions de grandes figures
féminines telles que Bertie Albrecht ou Danielle Casanova,
respectivement co-fondatrice du mouvement Combat et militante
communiste à l’origine de la création de divers comités féminins de résistance
et soutenant la lutte armée, on trouve d’autres formes, plus rares et
restreintes, de lutte contre l’occupant. Le cas de Rose Valland est, à ce
propos, édifiant.
D’origine très modeste (son père est
charron et sa mère est femme au foyer), Rose Valland doit à son intelligence et
à son goût des arts une ascension professionnelle fulgurante. En 1940, elle est
attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, à Paris. Elle est alors
témoin des spoliations des Allemands vis-à-vis des œuvres d’art des musées et
des collections privées, notamment celles issues de grandes familles juives
déportées ou ayant fui. Le musée du jeu de Paume étant le lieu de
centralisation avant l’expédition en Allemagne, Rose Valland se donne alors
pour mission de répertorier, en les notant sur des calepins, toutes les œuvres
confisquées ainsi que leur destination exacte. Elle donne aussi des
renseignements précieux, obtenus en écoutant les conversations des officiels
allemands, aux Alliés pour éviter que ces derniers bombardent les lieux où sont
cachées les œuvres. À la fin de la guerre, elle partira en Allemagne afin
d’assurer le retour de ces dernières. Pour sauver ces nombreuses œuvres d’art,
Rose Valland a fourni un travail long et minutieux. Elle a agi seule,
discrètement.
On le voit, la Résistance des femmes,
qu’elle que soit sa forme d’engagement, est bien réelle. Tout comme les hommes,
elles prennent des risques, s’impliquent, défendent leur patrie.
Mais quelles sont les répercussions pour
elles d’un tel engagement ?
Les conséquences de l’engagement
résistant
Une chose est certaine : les femmes
ont payé un lourd tribut pour leur volonté de lutte contre l’Occupation.
Beaucoup d’entre elles y ont laissé leur vie : Bertie Albrecht est pendue
le 31 mai 1943 ; Danielle Casanova meurt à Auschwitz le 9 mai de la même
année. Et que dire de toutes ces anonymes décédées en prison, fusillées,
torturées ou mortes en déportation ? L’exemple, parmi de très nombreux
autres, des employées des P.T.T. dont nous avons précédemment parlé est sur ce
point révélateur : sur les 224 femmes ayant, d’une façon ou d’une autre,
joué un rôle résistant, 98 furent déportées. 24 ne sont pas revenues, dont 6 Juives
qui furent gazées dès leur arrivée à Auschwitz.
Nombreuses sont aussi celles déportées à
Ravensbrück, un camp de concentration exclusivement réservé aux femmes. Parmi
les plus célèbres, on peut citer Germaine Tillion, Marie-José Chombart de
Lauwe, Geneviève de Gaulle… Mais, encore une fois, il ne faut pas occulter
toutes ces anonymes, très nombreuses, ces résistantes de l’ombre, du
« quotidien ».
Une autre question peut par ailleurs
être posée : le rôle des femmes dans la Résistance a-t-il changé un tant
soit peu leur place dans la société à la Libération ?
Au premier abord, on pourrait répondre
favorablement à cette interrogation. En effet, le droit de vote leur est
accordé en 1944. Par ailleurs, quelques femmes entrent dans la vie politique,
féminisant ainsi les assemblées, comme le Parlement, et répondant aux besoins
de mandats locaux. La grande majorité d’entre elles sont issues de la
Résistance.
Il est néanmoins important de tempérer
ces nouveaux acquis. En effet, le droit de vote n’est pas une conséquence
directe et spontanée de leur engagement, puisque la question sur leur statut à
ce niveau était déjà posée avant (et même pendant) la guerre. Il est par contre
évident que leur implication dans la Résistance y a joué un rôle déterminant,
voire même a précipité la décision finale.
Pour ce qui est de leur éligibilité et
leur présence au sein des organisations politiques, l’engouement d’après-guerre
s’éteint rapidement. En 1946, les sénatrices élues sont 22. En 1948, elles ne
sont plus que 13, pour descendre au nombre de 9 en 1952. Par ailleurs, les domaines
qui leur sont réservés restent très « féminins » : la santé, la
famille, l’enfance, le logement.
Autre fait notable : sur les 1036
Compagnons de la Libération ayant obtenu la Croix de la Libération, on ne
compte que 6 femmes... On y retrouve Bertie Albrecht, mais aussi Laure Diebold
(secrétaire de Jean Moulin et agent de liaison), Marie Hackin (qui organise le
Corps féminin de la France Libre), Marcelle Henry (membre du réseau d'évasion
VIC), Simone Michelle-Lévy (une des résistantes des P.T.T.) et Emilienne
Moreau-Evrard (agent du réseau Brutus). La plupart d'entre elles ont obtenu la
Croix de la Libération à titre posthume.
Comment expliquer cette
sous-représentation des femmes, dans la société en général, et dans la
politique en particulier ?
Il est absolument nécessaire de le
souligner : le problème vient avant tout des femmes elles-mêmes. L’immense
majorité d’entre elles considère que la Résistance n’a été qu’une parenthèse,
qu’elles ont fait leur devoir et qu’il est temps pour elles de retourner dans
leur foyer. D’ailleurs, tout le monde souhaite ce retour « à la
normale » et faire de la guerre un mauvais souvenir. Les femmes ne
remettent donc pas en question leur place dans une société où, il faut bien le
dire, le partage des rôles dans la vie quotidienne est encore bien loin d’être
égalitaire.
En effet, le monde dans lequel elles
évoluent ne les aide pas non plus à s’émanciper. L’image de la mère de famille
est encore écrasante. Cette norme va s’accentuer dans les années 50, avec le
baby-boom : on fait beaucoup d’enfants, les femmes doivent donc demeurer
plus que jamais au sein de leur maison. Il faudra attendre les années 70 pour
que le tournant majeur des rapports sociaux de sexe ait lieu.
Avant de clôturer cet article, je
voudrais préciser que son objectif n’a pas été de sous-estimer le rôle des
hommes dans la Résistance, tout aussi essentiel, mais de mettre en évidence
celui des femmes, trop longtemps occulté, alors qu’elles ont pris les mêmes
risques et y ont beaucoup laissé d’elles-mêmes. Certes, elles étaient moins
nombreuses que les hommes, mais leur histoire mérite d’être (re)connue. L’histoire
de la Résistance serait incomplète et malhonnête si les femmes en restaient
exclues.
Par ailleurs, cet article est loin
d’être exhaustif tant le champ de la Résistance des femmes est large (et
dépasse largement les frontières françaises), personnel (il n’y qu’à voir les
différents témoignages et expériences de celles et ceux qui l’ont vécue) et
encore relativement inexploré. Les historiens tentent, peu à peu, de combler ce
vide.
Sources :
- Colloque du Sénat du 27 mai
2014 : Femmes
Résistantes (revoir l'intégralité :
http://www.senat.fr/evenement/colloque/femmes_resistantes.html i)
- BERTIN Célia, Femmes sous l'Occupation, Stock, 1994.
- COLLINS WEITZ Margaret, Combattantes de l'ombre, Histoire des Femmes dans
la Résistance, Albin
Michel, 1997.
- THIBAULT Laurence (dir.), Les Femmes et la Résistance, La Documentation française/AERI 2006,
collection "Cahiers de la Résistance".
- Articles de la revue CLIO,
"Résistances et Libérations en
France", (http://clio.revues.org/700)
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