Ce mois-ci, Céline
Branchard, passionnée d'Histoire en générale et plus particulièrement de la
place des femmes dans l'histoire nous a fait le très grand plaisir de nous
faire partager son article (http://www.histoire-des-femmes.com/) :
Les historiens de la Résistance,
comme dans de nombreux autres domaines, ont longtemps occulté les femmes et
leur engagement majeur dans la lutte contre l’occupant allemand durant la
Seconde Guerre mondiale.
Pourtant,
on écrit en masse sur la Résistance dès la Libération : les ouvrages sont
nombreux, mais la majorité d’entre eux ne traite uniquement que de la
résistance armée et du rôle, prédominant, des hommes sur ce terrain. Les
femmes, quant à elles, ne récoltent que quelques allusions : leur
participation, pourtant déterminante, est sous-estimée, voire éclipsée. Seules
quelques figures féminines emblématiques, comme celle de Bertie Albrecht ou
Danielle Casanova, dont nous reparlerons, suscitent un intérêt. Ce dernier
s’explique non pas parce qu’elles sont des femmes, mais par l’importance, pour
la première, de son statut de premier ordre au sein du mouvement « Combat »,
pour la seconde, de son implication résistante au cœur du Parti communiste
devenu clandestin et dans la lutte armée.
Il faut
attendre les années 1970 et ses mouvements féministes pour que les résistantes
sortent de leur réserve et publient, nombreuses, leur biographie. Par ailleurs,
avec l’accès progressif aux archives de la Seconde Guerre mondiale et la
multiplication des témoignages, les historiens se penchent de plus en plus
sérieusement sur l’action des femmes pendant l’Occupation et s’aperçoivent
clairement qu’une résistance massive, en dehors des armes, cachée et plus
discrète mais tout aussi essentielle et risquée, a eu lieu.
Il est
donc aujourd’hui, possible de retracer (même si le travail dans ce domaine est
loin d’être complet) à quoi ressemble l’engagement féminin au sein de la
Résistance, quelle est sa nature et sa complexité dans un contexte politique
d’occupation et de collaboration avec le régime nazi et quelles sont les
répercussions sur les femmes impliquées dans ce mouvement d’opposition.
Le contexte dès 1940 :
occupation allemande et collaboration du régime de Vichy
Il est
difficile d’expliquer un phénomène tel que celui de la Résistance sans avant
tout poser le contexte, très particulier, de la défaite de 1940 entraînant
l’occupation ennemie et la collaboration du gouvernement de Vichy avec le
régime hitlérien. Il détermine en effet la prise de position de nombreux
Français et Françaises, qu’elle soit contre ou en faveur de l’occupant et/ou de
la politique de l’Etat français.
Dès
juin 1940, la France est vaincue : Paris est envahie, suite à l’armistice
signée le 22 juin, par les troupes allemandes, et la zone occupée est définie :
le Reich s’installe, en gros, au nord de la Loire et dans l’extrême sud-ouest
de la France. Le gouvernement de Vichy conserve sa souveraineté sur l’ensemble
du territoire, zone occupée comprise, mais se doit de tout mettre en œuvre pour
que la réglementation et les droits du Reich, en tant que puissance occupante,
soient facilités et respectés.
Le 24
octobre 1940, le maréchal Pétain rencontre Hitler à Montoire. Même si
l’entrevue jette les bases de la collaboration de manière assez floue entre les
deux protagonistes, notamment sur le rôle de la France dans le projet de
conquête européenne d’Hitler, il n’en demeure pas moins qu’à l’issue, le
gouvernement de Vichy accentue la mise en place d’un régime autoritaire et
répressif, répondant aux attentes de l’occupant : exclusions, censures,
saisies, interdictions de toutes sortes…
Les
femmes ne sont pas épargnées : dès octobre 1940, celles qui sont mariées ne
peuvent plus intégrer les administrations et les services publics, afin de les
inciter à rester au foyer ; la loi du 2 avril 1941 rend le divorce plus
compliqué à obtenir ; celle du 23 juillet 1942 condamne l’abandon de famille et
celle du 23 décembre de la même année réprime l’adultère commis avec une femme de
prisonnier.
Il faut
dire que la femme est un élément essentiel, un pilier même, de l’idéologie
vichyste. Le projet de Pétain, la « Révolution Nationale » sous la bannière «
Travail, Famille, Patrie », est de créer une société où l’individualisme,
banni, laisse place à un esprit communautaire où chacun a une place bien
déterminée et où les valeurs familiales et les structures traditionnelles
basées sur le travail non intellectuel (de la terre surtout) sont
prépondérantes. Encadré par les institutions étatiques, l’individu n’a plus
aucune liberté d’opinion et se doit de se fondre dans un ensemble hiérarchisé
et immuable.
Les
femmes, elles, sont considérées comme le centre du foyer, dont elles doivent
s’occuper avec soin. Cela sous-entend bien évidemment le devoir, essentiel, de
maternité, d’où une très sévère condamnation de l’avortement (de 1942 à 1944,
pas moins de 4000 femmes sont punies chaque année, pour la majorité des «
faiseuses d’ange », dont Marie-Louise Giraud, seule femme guillotinée pendant
la guerre, en 1943). S’éloigner de cet idéal féminin revient à mettre en danger
la patrie car celle-ci a un besoin absolu des futures générations pour réussir
la « Révolution nationale ».
Vichy
se base donc sur la différence et la complémentarité des sexes : à la femme la
sphère domestique ; à l’homme le travail mais aussi l’autorité familiale. Il
est le paterfamilias.
Les
femmes ne sont cependant pas condamnées à rester cloîtrées chez elles : elles
détiennent aussi, pour celles qui le désirent, une place dans l’espace public,
notamment au niveau associatif. Elles évoluent, pour la majorité d’entre celles
qui s’engagent, dans le milieu chrétien, où elles œuvrent charitablement ou, au
contraire, pour assurer leur propre destin. En effet, ces associations scoutes,
totalement féminines et qui se développent depuis les années 20, ont pour
objectif de donner aux jeunes filles une éducation civique et sociale. On leur
enseigne à devenir autonomes car, depuis la Première Guerre mondiale, avant
tout dans les milieux bourgeois, les jeunes femmes doivent être en mesure de
pouvoir travailler et s’assumer par elles-mêmes. Ne voyons néanmoins aucun
féminisme dans cet objectif : le mariage demeure un modèle de vie à adopter et
est donc vivement encouragé ; par ailleurs, on incite bien souvent les jeunes
filles à ne pas faire d’études trop « intellectuelles ». Il est nécessaire
d’ajouter que ces mouvements scouts sont généralement pétainistes, même s’il en
existe quelques-uns que l’on peut qualifier de résistants.
L’idéal
de Vichy, fondé sur les valeurs de « Travail, Famille, Patrie », est-il
cependant à la portée des Français et des Françaises qui vivent journellement
l’Occupation (la zone libre est envahie par les Allemands dès le 11 novembre
1942) ?
Bien
évidemment, un certain nombre de personnes privilégiées ou aux convictions
pétainistes affirmées trouvent dans le régime l’aspect salvateur que ce dernier
tente à tout prix d’insuffler. Mais pour un très grand nombre de Français,
soumis à la dureté du quotidien, il en est tout autrement.
En
effet, la vie de tous les jours est loin d’être une partie de plaisir. En plus
de la présence pesante de l’occupant qui réquisitionne une partie des
possessions et productions appartenant ou destinées aux Français, il faut faire
face aux restrictions et pénuries de toutes sortes, surtout alimentaires et
vestimentaires. La mise en place du système des tickets de rationnements,
censés approvisionner en denrées de première nécessité telles que le pain, la
viande ou le sucre, ne suffit pas à pallier les besoins des familles, surtout
en milieu urbain. Les files d’attente devant les magasins sont longues, et bien
souvent le résultat nul… Dans les campagnes, le manque, bien que réel, se fait
tout de même moins sentir car depuis toujours, on vit pratiquement en autarcie
: culture potagère, élevage de volailles et de lapins, cueillette, chasse,
culture des céréales… La solidarité y est aussi plus forte du fait de la
proximité villageoise : on ne se garde pas de venir en aide à son voisin ou aux
membres de sa famille.
File d'attente devant les magasins...
Les
femmes, qu’elles résident en ville ou en milieu rural, sont au cœur de cette
économie domestique puisque ce sont elles qui ont la gestion de tout ce qui a
trait à la maison. Beaucoup ne peuvent par ailleurs compter que sur
elles-mêmes, leur mari ayant été fait prisonnier et envoyé en Allemagne. Elles
doivent développer toutes sortes de stratégies pour économiser, faire durer,
créer du neuf avec de l’ancien et parfois recourir au marché gris ou au troc.
Parallèlement, heureusement pour certaines d’entre elles, face à l’absence
masculine et au manque général de main-d’œuvre, la loi de 1940 interdisant le
travail des femmes mariées est levée en septembre 1942.
L’idéal
vichyste, on le voit, est donc très éloigné des réalités quotidiennes de la
majorité des Français, qui ont bien autre chose à penser que de répondre aux
exigences idéologiques d’un régime qui, s’ils ne s’y opposent pas un minimum,
ne ferait que les pousser à encore plus de restrictions.
Et, en
effet, les contestations ne tardent pas à apparaître. Ce sont les femmes qui,
en premier, « montent au front » : elles sont très nombreuses, dès 1940 et dans
la France entière, à manifester dans la rue à cause de la pénurie alimentaire.
Elles n’hésitent pas à se rendre devant les mairies et les préfectures pour
afficher ouvertement leur mécontentement et demander le déblocage des stocks de
denrées. Au début, elles ont souvent gain de cause. Mais dès l’hiver 1941-1942,
Vichy prend des mesures punitives : les arrestations et les internements se
multiplient. Ces moyens mis en œuvre pour étouffer ces rassemblements ne sont
pas anodins : derrière ces femmes se cache l’un des plus grands ennemis du
régime de collaboration, le Parti Communiste. C’est en effet lui, par le biais
de ses militantes les plus actives et un presse clandestine, qui organise ce
que l’on appelle « les manifestations de ménagères ». Les communistes, dont le
but est de donner naissance à un mécontentement populaire général et de grande
ampleur contre l’Etat vichyssois, ont effectivement bien ciblé en s’adressant
aux femmes : elles représentent un potentiel d’action non négligeable puisque,
comme nous l’avons vu, elles sont les premières concernées par le manque. Ces
cortèges de femmes défilant dans la rue ne dénoncent donc pas seulement les
difficultés du quotidien, elles remettent fortement en question la
collaboration avec l’Allemagne nazie.
L’implication
des femmes dans les manifestations de ménagères (qui est déjà un acte fort
d’opposition en soi) va, pour certaines d’entre elles, représenter un véritable
tremplin pour intégrer la Résistance. Il ne sera pas le seul, tant la
Résistance féminine est diversifiée.
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